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Ankhiri, morte redoutable

Un mari persécuté

Il vivait à la fin du Nouvel Empire et avait tout pour être heureux. Formateur des officiers de la cavalerie, à Memphis, estimé de la cour royale, il avait épousé une femme de qualité, Ankhiri, dont chacun admirait la beauté. Un excellent mariage et une brillante carrière, bien qu’elle exigeât de fréquents déplacements ; pendant son absence, le dignitaire prenait les précautions nécessaires pour que son épouse ne manquât de rien.

Quand, à l’occasion d’une promotion, il fut contraint de quitter sa demeure pendant plusieurs mois pour résider dans une lointaine caserne, il envoya à sa femme des onguents, des vêtements et de la nourriture. De retour à Memphis, le mari retrouva une épouse à la santé chancelante. Il fit aussitôt appel à un « chef des médecins ». En ces heures d’angoisse lui parvint un ordre de Pharaon : il lui fallait partir immédiatement pour le Sud.

La santé d’Ankhiri se dégrada, elle mourut. La tragique nouvelle parvint à son mari sur la route qu’il empruntait pour gagner son nouveau poste. Il fut si désespéré qu’il refusa toute nourriture. Quand il revint à Memphis, il se rendit sur la tombe d’Ankhiri et pleura d’abondance.

Trois années s’écoulèrent. Le veuf demeura inconsolable, rongé par la tristesse. Il s’interrogea sur l’origine de sa détresse, et comprit que la défunte le martyrisait depuis l’au-delà, en exerçant à son encontre une injuste vengeance. C’est pourquoi il lui écrivit une lettre dont le texte nous est parvenu, une extraordinaire missive adressée par un homme d’ici-bas à une femme de l’au-delà[125].

À l’esprit Ankhiri : qu’as-tu fait de nocif contre moi pour que je me trouve dans l’état pénible où je suis ? Qu’ai-je accompli de répréhensible contre toi pour justifier le fait que tu as porté la main contre moi, sans que j’eusse commis de méchanceté à ton égard ? Depuis que je fus ton mari jusqu’au jour de ton trépas, que t’ai-je fait ? Que t’aurais-je caché pour que tu agisses ainsi ? Certes, à présent, je me plains de toi et je plaide contre toi, avec mes propres paroles, devant l’Ennéade qui réside dans l’Occident… Grâce à cette lettre qui contient la matière de notre différend, un jugement pourra être prononcé.

Qu’aurais-je donc fait contre toi ? Je t’ai prise pour épouse alors que j'étais jeune et j’ai vécu avec toi. J’ai rempli diverses fonctions en demeurant à tes côtés. « Notre vie se fera ensemble », t’ai-je promis. En toutes occasions, j’agissais selon ton désir. Or, à présent, tu ne me laisses pas en repos. Il faut que nous soyons jugés, toi et moi, pour que l’on distingue le vrai du faux. Quand j’instruisais les officiers de l’infanterie de Pharaon ainsi que ses hommes d’attelage, je les faisais venir ; ils se prosternaient devant toi et t’offraient les cadeaux qu’ils avaient apportés. Je ne t’ai rien caché, ta vie durant. Je ne t’ai laissée manquer de rien, je ne t’ai fait souffrir d’aucune façon, tout en exerçant ma fonction ; tu ne peux m’accuser d’avoir eu le comportement d’un rustre indélicat ni d’être entré dans une autre demeure (pour y courtiser une femme). Tu ne peux me reprocher aucun aspect de mon comportement.

Lorsque je fus déplacé à un nouveau poste et qu’il me fut impossible de sortir de mon cantonnement selon mon habitude, je fis pourtant en sorte qu’il ne te manque ni nourriture ni vêtement, et que tu ne fusses pas mal traitée. Tu ne reconnais pas le bien que je t’ai fait ! Je t’écris pour te faire prendre conscience de l’injustice que tu commets.

Quand tu tombas malade, je fis appel à un chef des médecins qui prit soin de toi et agit selon toutes tes directives. Lorsque je fus obligé de suivre Pharaon, en allant vers le Sud, et que la nouvelle de ta mort me parvint, je passai huit mois complets sans m’alimenter normalement. Revenu à Memphis, j’ai sollicité un congé auprès de Pharaon, et je me suis rendu à l’endroit où tu reposes, et je t’ai beaucoup pleurée. J’ai remis des étoffes du Sud pour ta momification, j’ai fait faire de nombreux vêtements (funéraires). Je n’ai rien négligé pour ton bonheur.

Or, voilà trois ans que je passe dans la tristesse sans m’être remarié, alors qu’un homme dans ma situation n’est pas condamné à se comporter ainsi. J’ai agi de la sorte par amour pour toi. Mais tu ne distingues pas le bien du mal. On devra donc juger entre toi et moi. Vois, je n’ai pas connu d’autre femme.

Le veuf était persuadé que l’esprit maléfique de son épouse défunte « avait mis la main sur lui » et, sans aucune raison, le persécutait. Sans nul doute, le tribunal de l’autre monde rendit son verdict.

Une épouse royale dans l’au-delà

Pinedjem II, pharaon de la XXIe dynastie, eut le malheur de voir mourir son épouse Neschons. Lors des funérailles, il prit la précaution de placer auprès d’elle un papyrus dont le texte lui offrait certaines garanties.

Amon-Râ, en effet, promettait de guider le cœur de Neschons et de ne pas permettre qu’elle abrégeât l’existence de son mari ni qu’elle introduisît quelque chose de néfaste dans l’esprit d’un homme. Le dieu inspira la défunte : elle souhaiterait du bien à son époux, aussi longtemps qu’il vivrait. Elle lui accorderait santé, force et puissance.

Bien qu’il exerçât la plus haute des fonctions, celle de Pharaon, Pinedjem II éprouvait donc crainte et respect pour les pouvoirs surnaturels de son épouse défunte. Vivre dans l’au-delà ne signifiait ni disparaître ni être anéanti, du moins lorsqu’on avait été reconnu juste par le tribunal d’Osiris. La reine Neschons, ayant eu accès à l’éternité, continuait à être l’épouse de Pharaon et à influencer son destin.

Si les vivantes se révélaient parfois dangereuses à cause de leurs charmes, les mortes l’étaient quelquefois bien davantage. Un ostracon de Deir el-Médineh évoque une défunte qui s’adresse aux divinités et leur donne des ordres ; elle exige que sa fille la suive comme un berger suit son troupeau. Sinon, elle mettra le feu à la cité de Bousiris !

Une femme écrit à l’au-delà

Si les hommes correspondent avec leurs épouses défuntes, les femmes entrent également en contact avec leurs maris décédés. Ainsi, un texte inscrit sur une poterie rouge[126] nous apprend qu’une femme écrivit à son époux décédé parce que leur fils avait de graves ennuis. Pourtant, elle se comportait en veuve honnête et n’avait pas dilapidé les biens familiaux. Puisque les offrandes funéraires pour l’âme du défunt étaient correctement assurées, assisterait-il aux malheurs des siens sans réagir ?

Dialogue permanent des vivants et des morts : pour l’Égypte pharaonique, une réalité quotidienne.

 

Les égyptiennes
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